Les incendies

J’ai essayé de réaliser ces œuvres en utilisant des matériaux (papiers, papier-paint) de récupération, pas loin d’être jetés à la poubelle. L’idée d’utiliser des rebuts, des « presque déchets » pour produire des objets esthétiques me paraît à la fois cohérente avec le sujet de mes tableaux mais aussi assez proche de la nature même de l’activité picturale. Les matières utilisées pour la peinture ne sont pas forcément nobles, il y a parfois quelque chose d’un peu boueux, dans les empâtements et les dépôts qui se forment sur la palette, quelque chose d’un peu « dégueulasse ». Et pourtant sur la surface du tableau s’opère cette transformation qui fait que cela peut devenir éclatant, comme un soleil. Et c’est aussi une manière de traiter la question de la crise écologique car il me paraît difficile de ne rien dire du monde que nous habitons.

La série que j’ai appelée « les sorcières » m’est venue en deux temps. J’ai d’abord réalisé les collages un peu abstraits à partir de catalogues de papier-peint que j’avais récupérés. J’ai voulu figurer des incendies, ceux qui parcourent aujourd’hui les forêts des États-Unis ou bien de la forêt amazonienne. Je pense que tout le monde s’est aperçu du caractère terriblement plastique de telles catastrophes, ce ciel rouge comme du sang, ces horizons piqués de brasiers qui font comme des fleurs impressionnistes, ces terres brûlées hachées par des troncs d’arbre calcinés comme des traits de crayon dans un dessin au charbon. Mais ce que je réalisais ne me paraissaient pas à la hauteur de ce qui arrive. Quelque chose manquait. Et m’est venue l’image que ça n’était pas que des arbres qui brûlaient, mais aussi un certain esprit. Des processus naturels perdus, le sol même sur lequel reposent les sociétés humaines depuis des millénaires qui disparaît. Ces images d’incendies m’ont paru comme le témoignage d’un saccage, d’une sorte d’holocauste sans victime humaine directe, mais consumant l’esprit des forets, des floraisons et des cycles naturels des saisons. Il m’est alors apparu que je devais dessiner des nymphes dérangées par le regard du spectateur, celui qui contemple sans comprendre. Des sorcières chassées du cœur des forêts qui ne peuvent plus accomplir les rites de passage des saisons, qui ne peuvent plus se tendre les offrandes d’étranges fleurs bleues comme la nuit nécessaire à la perpétuation de la vie. Dessiner ces grandes figures féminines m’a soulagé, car j’ai eu l’impression de pouvoir extérioriser ce qui me dérangeait le plus dans le spectacle de ces incendies, exprimer une peine si forte qu’elle ne trouve pas vraiment les mots à sa mesure.